François de Favitski
Voici dix-sept ans que je viens au Cambodge. Je me suis vite attaché à ce pays et à son peuple. Pour vous en parler simplement, j’ai choisi de vous commenter quelques photos.
Pendant plusieurs années, nous avons eu l’occasion d’aller fêter Noël tout au long d’une semaine en visitant successivement les cinq communautés d’une région de rizières au sud de Phnom-Penh ; un prêtre ami, le Père Olivier, en était le pasteur. Son territoire pastoral devait être à peu près aussi grand que notre diocèse. Ce prêtre y avait patiemment suscité en milieu bouddhiste des communautés chrétiennes petites mais ferventes et joyeuses. Mais son action ne se limitait pas à l’évangélisation, elle se voulait plus largement éducatrice, sanitaire et sociale.
Le point de départ de ce développement dans un village a été la maison d’habitation du premier baptisé. C’est une maison traditionnelle en bois montée sur pilotis. Elle a servi au début de lieu de prière, de catéchèse et d’école. En fonction des aides reçues et de la mobilisation des villageois, des bâtiments ont ensuite pu être construits au fil des années pour faire école de la maternelle au post-bac, en fonction des moyens qui pouvaient être rassemblés. Un atelier de tissage de la soie a été mis en place, des femmes du village ont été formées pour cela, leur permettant de gagner un peu d’argent pour leur famille.
C’est plusieurs années plus tard que nous y sommes venus pour célébrer la messe du soir de Noël dans la petite chapelle du village. Les premiers rangs étaient occupés par la trentaine de jeunes gens qui avaient été baptisés à Pâques. Pendant ce temps, les villageois de tous les environs, très nombreux, achevaient à l’extérieur les préparatifs du repas qui réunirait la communauté villageoise entière, chrétiens et bouddhistes ensemble.
Le lendemain se sont succédées diverses animations avec les écoliers, les scouts, les familles venant des environ. On a chanté, participé à des jeux, présenté des saynètes. Petits et grands ont reçu des cadeaux, c’était la communauté entière qui était rassemblée.
Ailleurs, c’est un village qui a été créé pour accueillir une dizaine de familles dont certains membres étaient atteints par le sida. Nous leur avons fait visite au fil des années. Nous avons vu des terrains être défrichés et mis en culture, des poules et des vaches ont été acquis. Un élevage de ver à soie a été créé. Ces familles ont ainsi pu retrouver un lieu de vie communautaire et du travail.
Repartant après notre première visite, quelques enfants ont grimpé dans la benne de notre véhicule, nous accompagnant pour un instant. Me retournant, j’ai reçu le regard muet et intense de ce garçon comme un appel personnel me disant l’importance de notre visite pour ce village.
A une autre occasion, nous avons remonté en bateau le Tonlé Sap, un affluent du Mékong, faisant des haltes dans des villages. L’une de ces haltes nous a mis en contact avec un instituteur retraité qui proposait, une fois par semaine, des cours de rattrapage aux élèves qui le souhaitaient. Il nous raconté que, pour pouvoir échapper à l’arrestation par les Khmers rouges, il avait détruit ses lunettes et feint de ne pas savoir lire. Ceux-ci voulaient en effet détruire toutes traces d’une culture qui pourrait faire obstacle à la mise en place de leur société révolutionnaire.
Dans un village voisin, une femme était assise, immobile à côté d’une toute petite maison, alors que tout autour régnait une grande activité. Les Khmers rouges avaient tué toute sa famille, elle n’avait survécu qu’en allant s’immerger pendant deux jours dans une mare et en respirant à l’aide d’un morceau de bambou. Depuis, cette femme restait prostrée, prise en charge par les villageois pour tous ses besoins.
J’aime me promener dans les rues de Phnom-Penh et observer les gens vivre sur les trottoirs à la « débrouille », y établissant leurs petits commerces avec les moyens du bord. J’avais beaucoup d’admiration pour celui installé en face de notre résidence. La clientèle de ce couple était constituée pour l’essentiel d’automobilistes et de motocyclistes s’arrêtant au passage, généralement pour une boisson. De mon balcon, je le voyais s’activer sans cesse de 6h30 à 23 heures, rangeant, balayant, servant leurs clients au bord du trottoir, parfois aidé par quelque membre de la famille. Au soin que cette femme et cet homme prenaient de leur petite installation, je les voyais très motivés, je me plaisais à penser qu’ils pourraient peut-être un jour obtenir une vraie boutique.
D’autres vivent plus difficilement sur les trottoirs, parfois même dans un grand dénuement. Partant acheter le pain du petit-déjeuner, je constatais parfois la présence de ce motocycliste achevant sa nuit, couché sur sa machine. Il s’agissait probablement d’un « motodop » faisant taxi dans la journée, transportant une ou plusieurs personnes derrière lui à chaque course. Quand le client se faisait rare dans la nuit, il devait se trouver un coin de trottoir tranquille pour dormir, là où il se trouvait
Pourquoi avoir choisi ces situations plutôt anecdotiques alors qu’il m’était facile de présenter ce qui intéresse généralement le touriste ? Dès notre première visite au Cambodge, nous avions compris que nous ne pouvions pas nous satisfaire de n’être que des touristes. Il nous fallait aussi rencontrer les gens dans leur vraie vie et les reconnaître comme des personnes, vivant des réalités complexes et difficiles. Au long des trottoirs de Phnom-Penh comme dans les villages, nous voyons tant de gens qui font preuve de courage, d’initiative, d’ingéniosité, comment ne pas les admirer et les soutenir ? Nous ne parlons toujours pas le khmer en dehors de quelques mots, mais ça n’est pas un obstacle si l’on veut rencontrer les personnes, le regard et les gestes suffisent souvent
Pour conclure, je vous propose la joie de ces écoliers. C’était à l’occasion des festivités de Noël dans le village mentionné plus haut. Nous avons eu souvent l’occasion de recevoir cette joie, expansive chez les enfants, plus discrète mais tout aussi réelle chez les adultes lorsqu’on entre en contact avec eux. Pour beaucoup, la vie est difficile, surtout en ce temps de pandémie. Mais les masques ne cachent pas les yeux et n’arrêtent pas les sourires. Puissions-nous, nous aussi, continuer à sourire, derrière nos masques