Josette Philippon
Une nouvelle fois et après deux années difficiles, le groupe islamo-chrétien a organisé le 12 mars une conférence-débat qui avait pour thème :
« Comment vivre sa foi dans la société française actuelle ? »
Nous avons eu le plaisir d’accueillir :
– Le Père Juvénal Rutumbu : prêtre catholique et qui fut responsable du secteur de Palaiseau pendant 9 ans
– Monsieur Hamid Arim : professeur et Imam
Extrait de l’intervention du Père Juvénal
Dans la société française actuelle, à quels défis faisons-nous face quand nous voulons vivre notre foi ? Laïcité (mal comprise), sécularisation (effacement du religieux dans notre société), pluralisme (qui devient problème lorsqu’on n’est pas bien connecté à sa source de foi), l’esprit identitaire (qui signifie exclusion et pureté dangereuse) … ?
La fin de la chrétienté fut une bonne chose car elle a permis l’émergence d’une foi et d’une pratique chrétienne plus personnelles, plus engagées, plus authentiques, moins sociologiques, moins suivistes, peut-être aussi moins ritualistes, moins légalistes et moins formalistes. Mais elle a contribué à l’effacement progressif de la culture chrétienne. Et cela vient de loin : tout au moins des lumières et non uniquement de 1968 ou de Vatican II comme ont tendance de le dire certain Historiens (ex. Guillaume Cuchet). L’Europe est redevenue un continent de mission. Et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, pourvu qu’on l’accepte et qu’on en tire des conséquences : travailler à une nouvelle évangélisation ou une évangélisation en profondeur.
Plus précisément, quelle est la forme de notre société actuelle et, par là, les dés qu’elle nous lance dans notre effort de vivre notre foi ? Nous partageons avec nos contemporains la dictature de la rapidité, de la productivité, de l’efficacité, de l’accumulation ; la culture du zapping, de la fuite en avant, de la boulimie d’activités.
Nous nous laissons emporter par l’urgence matérielle de peur de rencontrer le vide. Certains disent que nous sommes menacés par « l’hérésie des oeuvres », notre grande tentation étant de vouloir trop faire sans le Christ, pour le Christ.
Et pourtant la société actuelle est traversée par une réelle soif de spirituel
Il s’agit de demeurer en Dieu par la manducation de sa Parole, la prière, les sacrements, le service du frère. Croire, espérer, aimer, témoigner, transmettre, rayonner. Mais cela demande que l’on prenne le temps de demeurer en Dieu, d’être attentif à nos frères humains. Notre devoir premier est celui d’accueillir, de conserver et de réaliser la Parole : ce n’est qu’ainsi que nous serons autorisés à la communiquer à ceux auprès desquels nous sommes envoyés par le Seigneur…
Comment bâtir un projet commun malgré ou avec nos diversités ? Il faut partir du fait que nous avons la même humanité et que nous avons à travailler ensemble pour la paix et la fraternité au service de cette même humanité. Et cela passe par la rencontre et le dialogue. La rencontre de l’autre me révèle mes limites, mes fragilités, mais aussi mes richesses, mes potentialités mais lorsqu’on accueille l’autre de tout coeur, on lui permet d’être lui-même tout en lui offrant la possibilité d’un nouveau développement. Nous sommes appelés ainsi à l’ouverture les uns aux autres, au dépassement des tentations communautaristes et identitaires qui nous guettent tous, car elles nous conduiraient à une situation d’impasse et à une stérilité mortelle. Les échanges permettent de bâtir une nouvelle histoire commune qui sera bénéfique pour tout le monde.
Le dialogue ne relève pas uniquement du social, du culturel, mais aussi du spirituel : il est de l’ordre du mystère pascal ; car il appelle à des formes de renoncement et de désappropriation. Et quand il est réussi, il revêt une forme de résurrection.
La mystique de la fraternité. C’est Emmanuel Lévinas qui nous rappelle que : « Le visage de l’autre est l’épiphanie de Dieu … Il affirme le Créateur. … La dimension du divin s’ouvre à partir du visage humain. …
Pourquoi chaque être humain est cadeau de Dieu ? Parce que c’est sa propre demande vitale de relation qui réactive en autrui la capacité d’empathie, de compassion…
Les dérives possibles aussi bien de la part de la laïcité que de la pratique religieuse sont le danger de laïcisme (exclure complètement la religion de la société), danger identitaire (refus de la pluralité et dérive communautariste). La laïcité bien comprise permet à chaque religion de vivre ses convictions spirituelles sans empiéter sur la liberté des autres
La dérive identitaire est favorisée par le contexte marqué par la peur de l’immigré, par le regain des populismes et par la pression migratoire.
Certains d’entre nous sont franco-camerounais, d’autres sont à la fois franco-anglo-américains, nous tous avons du sang mélangé qui coule dans nos veines, …. C’est dire que nous sommes constitués d’humanité et d’identité multiples (Pierre Claverie) et que notre avenir n’est pas à la pureté dangereuse, mais au métissage, aussi bien au niveau de notre histoire qu’à celui de notre imaginaire. Et c’est bien ainsi car cela constitue la richesse de chacun d’entre nous.
Extrait de l’intervention de Monsieur Hamid- professeur et Imam
Le mot « actuelle », ne doit pas nous faire oublier la violence dans laquelle les débats, déjà en 1905, qu’ont suscité la proposition et la votation de la loi dite loi de séparation, des Églises et de l’État, loin de toute exhaustivité
Dans ce vacarme et dans cette agitation sociétale, une voix, sage et sincère ; à qui l’on a reproché la communion de sa fille et qui n’a cessé d’encourager le premier député musulman à vivre pleinement son rôle de citoyen en l’occurrence « le médecin des pauvres » Philippe Grenier, rappelle fermement, dans un esprit de synthèse et de réconciliation : « je crois pouvoir dire historiquement ceci : la France n’est pas schismatique, elle est révolutionnaire », il appelle « à la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison. », qui peut s’opposer à ce discours, à cette invitation et à cette marche vers l’émancipation de l’esprit et de l’être humain, préoccupation essentielle et existentielle en islam, le premier verset révélé, n’est-il pas cet impératif divin qui incite le musulman à lire, et l’univers déployé, celui du monde à explorer et à mettre au service de l’être humain, et celui du Coran qui balise le cheminement et le devenir du musulman vers son ultime et éternelle demeure ?
Aux yeux de cet homme, lui-même victime de la violence de l’époque, la laïcité reste une « œuvre de sincérité et non de brutalité ».
En plus de cette violence historique, voire ordinaire, en France, deux facteurs accélérateurs, avec leurs propres agendas, leurs propres logiques, parfois solidaires l’une de l’autre, en l’occurrence, le pouvoir des médias, pour ne pas dire les médias du pouvoir, et la contestation de l’autorité sous toutes ses formes : l’État, la religion, l’école, la famille, la science …, marquent notre quotidien : aujourd’hui, ressemble étrangement à hier, peut-être à demain, nous sommes victimes de cette nostalgie d’un monde meilleur, qui n’a jamais existé, celui d’un passé paisible et simple, d’un « rétrécissement du temps » devant cette modernité tardive, qui bouleverse tous nos rapports sociaux, aux outils de communication et même au divin. Tout le monde se plaint de ce manque cruel de temps pour soi, pour Dieu et pour l’autre. Pourtant, non, juste dans la précipitation et la réaction
La première des finalités de la foi musulmane est de préserver la religion elle-même. De préserver, par la suite, tout ce qui est permet d’alimenter, de raffermir et de vivre : la raison, le capital, la dignité humaine, la morale, l’éthique et les valeurs, tout cela dans un esprit de justice et de bienveillance.
En quoi ces finalités, seraient-elles incompatibles avec les valeurs de la République ? Ces finalités, varient-elles, changent-elle fonction du temps et de l’espace ?
Certainement non, ce qui a changé par contre, ce sont les outils, ce sont les moyens, ce sont les possibilités, voire l’aisance même, qu’offre la modernité et ses progrès technologiques et scientifiques pour y accéder. Malheureusement, ces progrès technologiques et scientifiques, considèrent la foi comme un obstacle, comme un ennemi à éliminer, l’on parlait déjà, « de l’obsolescence de l’homme », de « la fin de l’histoire », l’on parle aujourd’hui de « la mort de la mort ». Le transhumanisme est en ordre de marche ! Au lieu de servir l’homme, ces progrès technologiques et scientifiques veulent l’asservir.
Aujourd’hui nous assistons à une autre expérience qui aboutit un autre déséquilibre : la civilisation occidentale, qui a perdu le sens du spirituel, se trouve à son tour au bord de l’abîme.
Il ne s’agit donc plus pour le monde musulman de séparer les valeurs mais d’accoupler la science et la conscience, l’éthique et la technique, la physique et la métaphysique, afin de réaliser un monde selon la loi de ses causes et l’impératif de ses fins. Mais pour refaire une jeunesse au monde, il faut un homme nouveau capable d’assumer son existence moralement et matériellement, comme témoin et comme acteur
Pour résumer, le musulman peut vivre sa foi, en France ou ailleurs, à condition de connaître les spécificités et les histoires du lieu où il vit, de respecter l’intérêt général, de défendre ses droits dans le respect inconditionnel de la loi des pays où il est, les lois sont faites par des hommes ; elles peuvent être défaites d’autres hommes. Le musulman doit porter des projets bien définis, les lois de la République lui permettent cela, il doit se donner les moyens pour les réaliser, et s’engager dans des partenariats, de préférence locales, pour atteindre ses objectifs, la place de l’autre est essentielle, notamment pour ceux dont personne ne veut.
Après la conférence, le public a eu la parole pour poser les questions suscitées par les exposés.
La salle étant comble, des sièges supplémentaires furent nécessaires…. Puis chacun s’est orienté vers le magnifique buffet pour le goûter avec pâtisseries orientales, gâteaux maison et thé à la menthe : temps de rencontre et de partage dans l’amitié.
Un après-midi riche sur le plan humain et spirituel.