Bernard Coutin
L’œcuménisme en panne ?
Comment cheminer vers l’unité ?
Le groupe Débats du secteur de Palaiseau a invité le 19 octobre dernier
- la Pasteure Anne-Laure Danet, responsable du service des relations avec les Eglises chrétiennes de la Fédération Protestante
- et Sœur Colette Bence, Sœur missionnaire de l’Evangile, et Déléguée diocésaine pour l’unité des chrétiens
afin de nous éclairer sur les chemins de l’unité.
Dans un premier temps, Anne-Laure Danet nous rappelle les différentes étapes du cheminement qui a mené à l’unification en 2012 des Eglises Luthérienne et Réformée (calviniste) de France, pour former L’Eglise Protestante Unie de France EPUF. Le long chemin vers cette unité a commencé en 1960 avec la création d’une instance de dialogue entre les bureaux de l’Eglise Evangélique Luthérienne de France EELF, de l’Eglise Réformée de France ERF, de l’Eglise Réformée d’Alsace-Lorraine ERAL et la Confession d’Augsbourg d’Alsace-Lorraine CAAL. En 1968, cette instance proclame les Thèses de Lyon : les quatre bureaux constatent alors qu’ils sont d’accord sur le statut des Ecritures, et sur le baptême. Mais subsiste un gros point de tension au sujet de la sainte Cène. La réflexion sur ce point fut confiée en 1969 au CPLR : Conseil Permanent Luthéro-Réformé. Une réelle confiance s’est alors installée.
La Concorde de Leuenberg
Un important second pas a été accompli avec la Concorde de Leuenberg signée en 1973 au niveau européen entre les Eglises Luthérienne et Réformée. Elle constate que leurs différences au sujet de la sainte Cène ont perdu de leur actualité et ne justifient plus la séparation des deux Eglises. Elles se déclarent donc en pleine communion ecclésiale, c’est-à-dire que
Un pasteur luthérien peut servir dans l’Eglise Réformée, et vice-versa.
Les fidèles peuvent participer à la Cène indistinctement dans l’une ou l’autre Eglise.
Le CPLR développe alors :
La formation permanente commune des pasteurs.
La catéchèse sur un site dédié, élargi aux Eglises suisse et belge.
L’œcuménisme : travailler à la visibilité de ce protestantisme unifié.
L’ERF en 2001 et l’EELF en 2003, réclament davantage de visibilité sur la communion entre elles. Un œcuménisme intra-protestant luthéro-réformé se développe. En 2006, les deux Eglises d’Alsace-Lorraine fondent l’Union des Eglises d’Alsace et de Lorraine UEPAL. Elles mettent en commun des éléments importants de gestion : attribution des postes de pasteurs, une représentation extérieure et commissions communes. Cependant elles conservent chacune leur spécificité et rajoutent le mot protestant : EPCAAL et EPRAL.
L’Union Luthéro-Réformée
En 2007, dans l’esprit de la Concorde de Leuenberg, le CPLR se transforme pour des raisons d’effcacité en Commission Permanente Luthéro-Réformée et lance le processus d’union. Chacune des deux Eglises françaises organise séparément son propre synode à Sochaux, mais avec une partie commune. Un échéancier pour l’union est établi. Les nouveaux statuts sont approuvés lors du Synode de Belfort en 2012. Les Eglises locales intègrent aussi dans leur nom l’expression d’Eglise Unie.
Le premier synode de cette Eglise unie se tient à Lyon en 2013 en signe de réconciliation (celui de 1938 marquait plutôt une rupture).
Comment avancer dans cette union
La question actuelle n’est pas la diversité, qui est acquise maintenant pour l‘Eglise Catholique, les Eglises Orthodoxes, les Eglises Protestantes ou l’Eglise Anglicane depuis 1999. Le véritable enjeu réside dans la division persistante et le refus de se reconnaître mutuellement fidèles à l’Evangile. C’est dans la reconnaissance mutuelle de l’existence de l’autre que toutes les Eglises réformées et luthériennes d’Europe se déclarent en pleine communion depuis 1973 : le salut par la grâce, la communion de chaire et d’autel, le témoignage commun, tâche missionnaire commune.
Le lent cheminement a permis de poser les questions de fond : l’unité n’est pas l’uniformité, les différences sont des richesses et non des concurrences, et comment les vivre ; faire droit à la diversité, sans rapport de force, de façon à ne pas craindre de se faire absorber ; faire connaître la Concorde de Leuenberg.
Il y a aussi des questions plus pratiques, mais qui touchent des sujets de fond. Le débat fut long sur les ministères. Dans la conception luthérienne, il s’agit d’une ordination, alors que chez les Réformés, il n’y a qu’une reconnaissance de ministère. Aujourd’hui on parle d’une « reconnaissance d’ordination ».
Cette union des Eglises de France (hors Alsace-Lorraine qui vit sous le régime du Concordat) fait suite à celle de Belgique (1978), des Pays-Bas (2004). La Table Vaudoise unit Réformés, Méthodistes et Baptistes.
Synodalité et œcuménisme.
Sœur Colette désire montrer le lien entre synodalité et œcuménisme. Mais d’où vient l’œcuménisme chez les catholiques ? On se souvient du non catégorique opposé à l’œcuménisme par Pie XI en 1928 ; sans doute trouvait-il trop de laxisme chez les protestants, qui avaient déjà fondé un Conseil œcuménique en 1910 à Edimbourg. 1948 est l’année de la création du Conseil œcuménique : association fraternelle d’Eglises Protestantes qui acceptent JC comme Dieu et Sauveur. En 1949, un document officiel du Saint-Office reconnaissait que les autres Eglises avaient des choses à nous dire pour la lecture de l’Ecriture Sainte, et donnait la possibilité de participer à des relations avec les protestants, déjà commencées avec le père Congar.
La véritable entrée en œcuménisme de l’Eglise catholique date de Vatican II. Sœur Colette nous propose de suivre le chemin œcuménique à l’aide de quelques gestes très symboliques.
Jean XXIII invite des protestants comme observateurs au concile. Un peu plus tard, Paul VI est le premier pape à aller en terre sainte : il y rencontre Athénagoras ; c’est aussi la levée des anathèmes.
En mars 1966, lors d’une rencontre interconfessionnelle, il remet son anneau pastoral au primat de l’Eglise anglicane. Son successeur actuel porte toujours cet anneau. Paul VI désirait aussi que l’Eglise reconnaisse l’ordination anglicane. En 1967, à Constantinople, Paul VI et Athénagoras étaient prêts à concélébrer ensemble, mais y ont finalement renoncé pour ne pas créer de divisions internes, surtout du côté orthodoxe.
Le pape François se présente comme l’évêque de Rome et non comme celui des catholiques. Lors de l’accueil d’autres délégations, Bartholoméos était assis au même niveau que le pape et sur une chaise identique. François porte le pallium comme tous les archevêques.
Mais la grande nouveauté est le retour à la synodalité, manifestée dès le début de Vatican II de façon inattendue : les pères conciliaires ont refusé tout net la mouture qui avait été préparée à l’avance par la Curie romaine. Durant tout le concile, les évêques ont collaboré avec les experts et simplifié les textes. Cette synodalité était pratiquée depuis longtemps par les Eglises orthodoxes et protestantes existait déjà dans les Actes des Apôtres. Tout au long de la vie de l’Eglise catholique, certains problèmes ont du reste été résolus en faisant appel aux communautés.
Dès 1965, Paul VI convoque des synodes d’évêques, qui ont plus ou moins bien fonctionné : ils ont trop longtemps été ficelés, laissant peu de place aux débats et aux interventions. La grande nouveauté du pape François, a été l’introduction des carrefours par groupes linguistiques. Le premier d’entre eux s’est tenu en 2014-2015 sur le thème de la famille. Les autres Eglises chrétiennes y sont systématiquement invitées : la parole de leurs délégués toujours plus nombreux y est de plus en plus prise en compte.
La conviction de François est que l’Eglise est essentiellement synodale : la réflexion sur la synodalité et sa pratique ne sont pas uniquement le fruit de Vatican II, mais aussi celui de l’engagement catholique dans l’œcuménisme. Nous avons à recevoir des autres, et c’est dans l’échange que nous allons pouvoir progresser. François parle souvent de la théologie du peuple. C’est du baptême que découle l’égale dignité des enfants de Dieu dans la diversité des ministères et des charismes. La synodalité existait déjà aussi au niveau local, avec les conseils des consulteurs, des affaires économiques et presbytéraux.
Le synode est une opportunité de conversion pastorale, missionnaire et œcuménique. Le chemin synodal est un processus en mouvement, suivant le triptyque : marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble.
Actualité de la synodalité.
Au cours de ce dernier synode comment avons-nous travaillé avec les frères et sœurs des autres Eglises ?
Les remontées faites aux sites diocésains français montrent des choses contradictoires. La confusion entre œcuménisme et interreligieux est encore grande. De nombreux regrets sur les faibles mobilisations (des jeunes en particulier), sur notre méconnaissance des autres Eglises. L’œcuménisme est trop une affaire de « têtes » et se limite pour beaucoup à la semaine de l’unité ; certains craignent un relativisme doctrinal ; il conviendrait d’abord de faire l’unité au sein de l’Eglise catholique. Les remontées font aussi part de souffrances dues à un décalage entre les personnes qui ont nourri leur foi avec le concile et les plus jeunes qui sont davantage dans une démarche identitaire. Mais aussi, l’attente est forte d’une plus grande ouverture, de sortir de l’entre-soi. C’est, par exemple, ce que réalise le diocèse de Belfort-Montbéliard en mettant en œuvre la création d’un lieu pour les rencontres œcuméniques. Dans le diocèse de Bayeux-Lisieux, d’autres Eglises ont été invitées à participer aux travaux. La fraternité locale Charles de Foucauld parle d’un rapprochement en cours avec les protestants.
L’œcuménisme nécessite un travail théologique, comme celui qui a été réalisé, – mais qui est bien méconnu – avec la Déclaration commune sur la justification (1999). Avec la formule de « l’unité dans la diversité », on ne cherche pas à faire de l’autre le même que soi. L’œcuménisme progresse : la formule est actualisée sous la forme : l’unité dans la diversité réconciliée
Quels pas allons-nous faire pour arriver à une identité partagée ? Anne-Laure Danet propose un parcours en quatre points : œcuménisme spirituel, de la rencontre, œcuménisme théologique, et guérison des mémoires. (Réflexion sur la Saint-Barthélemy)
Les luthéro-réformés font partie de la même famille que les évangéliques. Il y a un tronc commun chez tous les protestants sous la forme des « soli ». Les luthéro-réformés ont à aider toute la famille protestante à se reconnaître les uns les autres. Les modes de prière si différents sont un moyen d’enrichissement mutuel.
Le salut par la grâce seule.
Catholiques, luthériens, réformés, méthodistes, anglicans proclament tous au niveau mondial depuis 1999 ce qui est le cœur de notre foi : le salut est donné par Christ qui est mort et ressuscité en notre faveur, sans nos œuvres. Nous n’avons pas à acquérir notre salut, mais à le recevoir. Calvin rappelait le cri de Paul : je fais le mal que je ne veux pas et ne fais pas le bien que je voudrais. Par la foi en Christ je reçois la force de ne pas faire le mal, et de faire le bien, ce à quoi Dieu m’appelle. Puisque je suis libéré de moi-même, je suis en quelque sorte dépréoccupé de moi pour me préoccuper des autres. D’où cet appel pour le service des plus petits, de toute l’humanité, de toute la création. Cette vie qui nous est offerte, c’est une offre pour démarrer ce que Dieu veut pour chaque être humain, dès maintenant et pas après notre mort. Cela donne une force considérable, car elle donne de l’espérance. Notre vie ne s’arrête pas à notre mort, désormais elle est en Christ, qui est vivant. J’ai l’espérance qu’aujourd’hui si je tombe, je sais que le Christ me relèvera. Cela donne un sens à ma vie.