J’ai désiré d’un grand désir

Michel de Guibert

Le Pape François a publié le 29 juin 2022, jour de la fête des saints Pierre et Paul, une lettre apostolique sur la formation liturgique du Peuple de Dieu qui s’ouvre par ces paroles de Jésus lors de la dernière Cène : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Luc 22,15), paroles qui ont donné le titre de la lettre apostolique « Desiderio Desideravi ».

    Cette lettre s’adresse à l’Eglise entière, à tout le peuple chrétien, c’est dire son importance, voulant « offrir quelques pistes de réflexion qui puissent aider à la contemplation de la beauté et de la vérité de la célébration chrétienne » (n° 1) ; nous nous proposons de donner ici, en en soulignant quelques aspects principaux, une présentation et de larges extraits de ce texte dense qui est une réflexion profonde sur la « beauté incomparable de la liturgie » et qui nous invite à nous « émerveiller devant le mystère pascal » (n° 25) et à « redécouvrir la beauté de la vérité de la célébration chrétienne » (n° 21), l’enjeu de notre époque étant de « retrouver la capacité de vivre pleinement l’acte liturgique » (n° 27).

    François précise le sens de sa lettre : « Par cette lettre, je voudrais simplement inviter toute l’Église à redécouvrir, à sauvegarder et à vivre la vérité et la force de la célébration chrétienne. Je voudrais que la beauté de la célébration chrétienne et ses conséquences nécessaires dans la vie de l’Église ne soient pas défigurées par une compréhension superficielle et réductrice de sa valeur ou, pire encore, par son instrumentalisation au service d’une vision idéologique, quelle qu’elle soit. La prière sacerdotale de Jésus à la dernière Cène pour que tous soient un (Jn 17,21), juge toutes nos divisions autour du Pain rompu, sacrement de piété, signe d’unité, lien de charité. » (n° 16)

La lettre s’ouvre donc par ces paroles de Jésus : « J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! » (Lc 22,15). « Ces paroles de Jésus par lesquelles s’ouvre le récit de la Dernière Cène sont, dit le saint Père, la fissure par laquelle nous est donnée la surprenante possibilité de percevoir la profondeur de l’amour des Personnes de la Sainte Trinité pour nous » (n° 2). 

Nous vous en proposons en introduction une belle illustration musicale avec ce chant du frère André Gouzes extrait de l’Office de la Cène du Jeudi Saint sur ces paroles de Jésus : 

https://youtu.be/UNehc_BbP54

La Liturgie nous plonge dans l’aujourd’hui de l’histoire du salut, elle est le lieu de la rencontre avec le Christ incarné, ressuscité et vivant.

« C’est là que réside toute la puissante beauté de la liturgie. Si la Résurrection était pour nous un concept, une idée, une pensée ; si le Ressuscité était pour nous le souvenir du souvenir d’autres personnes, même si elles faisaient autorité, comme par exemple les Apôtres ; s’il ne nous était pas donné, à nous aussi, la possibilité d’une vraie rencontre avec Lui, ce serait comme déclarer épuisée la nouveauté du Verbe fait chair. » (n° 10)

À quoi sert la liturgie ? À faire de nous des hommes et des femmes de désirs – mieux : à prendre conscience que depuis toujours nous sommes désirés par Dieu.

« Avant notre réponse à son invitation — bien avant ! — il y a son désir pour nous, Nous n’en sommes peut-être même pas conscients, mais chaque fois que nous allons à la Messe, la raison première est que nous sommes attirés par son désir pour nous. De notre côté, la réponse possible — qui est aussi l’ascèse la plus exigeante — est, comme toujours, celle de nous abandonner à son amour, de nous laisser attirer par lui. Il est certain que toute réception de la communion au Corps et au Sang du Christ a déjà été voulue par Lui lors de la Dernière Cène. » (n° 6)

La liturgie nous rend contemporains de Jésus et Jésus se rend contemporain de nous dans la liturgie.

« Un vague souvenir de la Dernière Cène ne nous servirait à rien. Nous avons besoin d’être présents à ce repas, de pouvoir entendre sa voix, de manger son Corps et de boire son Sang. Nous avons besoin de lui. Dans l’Eucharistie et dans tous les Sacrements, nous avons la garantie de pouvoir rencontrer le Seigneur Jésus et d’être atteints par la puissance de son Mystère Pascal. » (n° 11)

« L’action célébrative n’appartient pas à l’individu mais au Christ-Eglise, à la totalité des fidèles unis dans le Christ. La liturgie ne dit pas « je » mais « nous » et toute limitation de l’étendue de ce « nous » est toujours démoniaque. » (n° 19)

François se réfère à la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium et rappelle : « Nous devons au Concile – et au mouvement liturgique qui l’a précédé – la redécouverte d’une compréhension théologique de la Liturgie et de son importance dans la vie de l’Eglise. » (n° 16)

Il ajoute que la liturgie est « un antidote contre le venin de la mondanité spirituelle » (n° 17 et 18).

    François insiste : « Il nous est demandé de redécouvrir chaque jour la beauté de la vérité de la célébration chrétienne » (n° 21)

    Il ajoute ensuite : « L’émerveillement est une partie essentielle de l’acte liturgique car c’est l’attitude de ceux qui se savent confrontés à la particularité des gestes symboliques ; c’est l’émerveillement de celui qui fait l’expérience de la puissance du symbole, qui ne consiste pas à se référer à un concept abstrait mais à contenir et à exprimer dans sa concrétude même ce qu’il signifie. » (n° 26)

     Le Pape précise deux écueils opposés : « La redécouverte continuelle de la beauté de la liturgie n’est pas la poursuite d’un esthétisme rituel qui ne prend plaisir qu’à soigner la formalité extérieure d’un rite ou se satisfait d’une scrupuleuse observance des rubriques. Il va de soi que cette affirmation ne vise nullement à approuver l’attitude opposée qui confond la simplicité avec une banalité débraillée, l’essentialité avec une superficialité ignorante, ou le caractère concret de l’action rituelle avec un fonctionnalisme pratique exaspérant. » (n° 22)

    Et le Pape ajoute : « Soyons clairs : tous les aspects de la célébration doivent être soignés (espace, temps, gestes, paroles, objets, vêtements, chant, musique, …) et toutes les rubriques doivent être respectées. (…) Mais même si la qualité et le bon déroulement de la célébration étaient garantis, cela ne suffirait pas pour que notre participation soit pleine et entière.» (n° 23)

    Et François précise encore : « L’ars celebrandi ne peut être réduit à la simple observation d’un système de rubriques, et il faut encore moins le considérer comme une créativité imaginative – parfois sauvage – sans règles. Le rite est en soi une norme, et la norme n’est jamais une fin en soi, mais elle est toujours au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger. » (n° 48)

    Il cite Romano Guardini : « Nous devons comprendre à quel point nous nous sommes profondément enlisés dans l’individualisme et le subjectivisme ; à quel point nous nous sommes maintenant affaiblis et combien étroite est devenue la dimension de notre vie religieuse. L’ardent désir de cultiver un grand style de prière doit à nouveau s’éveiller ; la volonté d’essentialité doit aussi revivre dans la prière. La voie à suivre pour y arriver est celle de la discipline ; du renoncement aux satisfactions faciles et sans effort ; du travail rigoureux, accompli dans l’obéissance à l’Église, pour notre conduite et notre être religieux ». C’est ainsi que l’on apprend l’art de célébrer. » (n° 50)

    Pour échapper à ces deux travers, François souligne l’importance de la formation liturgique.

Pour le Saint-Père, l’enjeu de notre époque est de « retrouver la capacité de vivre pleinement l’acte liturgique », tâche qui n’est pas aisée pour l’homme moderne tant celui-ci a perdu « la capacité de s’engager dans l’action symbolique qui est une caractéristique essentielle de l’acte liturgique ». (n° 27)

Pour cela, insiste-t-il : « Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale. » (n° 31)

François précise ensuite un point capital : « Je pense que nous pouvons distinguer deux aspects : la formation pour la liturgie et la formation par la liturgie. La première est fonctionnelle ; la seconde, essentielle. » (n° 34)

Il insiste aussi : « Rappelons-nous toujours que c’est l’Église, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre. » (n° 36)

Il rappelle, insistant sur le deuxième sens, le caractère mystagogique de la liturgie : « Nous sommes formés, chacun selon sa vocation, à partir de la participation à la célébration liturgique. » (n° 40)

    Il cite encore Romano Guardini, pionnier du mouvement liturgique : « Guardini écrit : « C’est ainsi que s’ébauche la première tâche du travail de formation liturgique : l’homme doit retrouver sa puissance symbolique ». C’est une responsabilité pour tous, pour les ministres ordonnés comme pour les fidèles. La tâche n’est pas facile car l’homme moderne est devenu analphabète, il ne sait plus lire les symboles, il en soupçonne à peine l’existence. » (n° 44)

    Et il ajoute : « Une « lecture » symbolique n’est pas une connaissance purement intellectuelle, ni l’acquisition de concepts, mais plutôt une expérience vitale. » (n° 45)

    Le Pape développe ensuite quelques points concernant l’ars celebrandi : « L’art de célébrer doit être en harmonie avec l’action de l’Esprit. C’est seulement ainsi qu’il sera libre des subjectivismes qui sont le fruit de la domination des goûts individuels. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera libre de l’invasion d’éléments culturels assumés sans discernement et qui n’ont rien à voir avec une compréhension correcte de l’inculturation. » (n° 49)

    Il ajoute : « S’il est vrai que l’ars celebrandi est exigé de toute l’assemblée qui célèbre, il est également vrai que les ministres ordonnés doivent y porter une attention toute particulière. »     et il pointe quelques approches de présidence inadéquates : « Je pense que l’inadéquation de ces modèles de présidence a une racine commune : une personnalisation exagérée du style de célébration qui exprime parfois une manie mal dissimulée d’être le centre de l’attention. » (n° 54)

    Le Saint Père conclut avec insistance : « Je voudrais que cette lettre nous aide à raviver notre émerveillement pour la beauté de la vérité de la célébration chrétienne, à nous rappeler la nécessité d’une authentique formation liturgique, et à reconnaître l’importance d’un art de célébrer qui soit au service de la vérité du Mystère Pascal et de la participation de tous les baptisés à celui-ci, chacun selon sa vocation. » (n° 62)

    « C’est pourquoi, ajoute-t-il, je désire vous laisser une autre indication à suivre sur notre chemin. Je vous invite à redécouvrir le sens de l’année liturgique et du Jour du Seigneur : cela aussi est une consigne du Concile (cf. Sacrosanctum Concilium, nn.102-111). » (n° 63)

    Et François revient sur l’importance de la formation chrétienne opérée par la liturgie : « À la lumière de ce que nous avons rappelé ci-dessus, nous comprenons que l’année liturgique est l’occasion pour nous de grandir dans notre connaissance du mystère du Christ, en plongeant nos vies dans le mystère de sa Pâque, dans l’attente de son retour dans la gloire. Il s’agit d’une véritable formation permanente. » (n° 64)

    François conclut : « Abandonnons nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Eglise. Sauvegardons notre communion. Continuons à nous émerveiller de la beauté de la liturgie. La Pâque nous a été donnée. Laissons-nous toucher par le désir que le Seigneur continue d’avoir de manger sa Pâque avec nous. Sous le regard de Marie, Mère de l’Eglise. » (n° 65)

Le document s’achève sur cette belle prière de saint François d’Assise :

Que tout le monde soit frappé de peur,
Que le monde entier tremble et que les cieux exultent,
Quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est présent sur l’autel
entre les mains d’un prêtre !
Ô merveilleuse noblesse et dignité stupéfiante !
Ô sublime humilité ! Ô humble sublimité !
Le Seigneur de l’univers, Dieu et le Fils de Dieu,
s’humilie tellement que, pour notre salut,
il se cache sous un morceau de pain ordinaire !
Frères, regardez l’humilité de Dieu
et épanchez vos cœurs devant Lui !
Faites-vous tout petit afin que vous soyez exaltés par Lui !
Ne retenez rien de vous-mêmes pour vous-mêmes,
afin que Celui qui se donne totalement à vous puisse vous recevoir totalement !

        Saint François d’Assise,
        Lettre à l’ensemble de l’ordre, II,26-29

 

Nous vous en proposons en conclusion une illustration musicale en trois versions d’un beau chant d’Anne-Sophie Rahm inspiré de cette prière : « Regardez l’humilité de Dieu » :

P.S. : Cette présentation n’est qu’un entremets ! Nous ne pouvons que recommander pour aller plus loin la lecture intégrale de cette lettre apostolique qui est d’une grande densité et d’une grande richesse :

https://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_letters/documents/20220629-lettera-ap-desiderio-desideravi.html 

ou :

https://eglise.catholique.fr/vatican/messages-du-saint-pere/528025-lettre-apostolique-desiderio-desideravi/ 

On peut aussi trouver une présentation succincte ici :

https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2022-06/francois-lettre-apostolique-j-ai-desire-d-un-grand-desir.html